Hier soir, le président de la République a confirmé le confinement général. Mesure inédite en temps de paix, ce temps de retrait de notre vie habituelle peut être déstabilisant pour certain et probablement difficile à vivre sur le moyen terme. L’Analyse Transactionnelle est éclairante de ce point de vue et tout particulièrement le concept de structuration du temps.
Le désir de l’être humain de structurer son temps repose sur trois besoins (besoins de stimulus ou de sensation, le besoin d’être reconnu et le besoin de structure) aussi essentiels que le besoin d’alimentation. Penser à nourrir ces besoins en temps de confinement est au moins aussi important que d’aller dévaliser les supermarchés.
Pour satisfaire ces besoins, nous structurons notre temps. Nous prenons nos repas à heure plus ou moins fixe, nous nous réveillons chaque matin pour nous coucher chaque soir (ce peut aussi être l’inverse en fonction de notre activité professionnelle), nous saluons nos collègues en arrivant au travail, nous allons faire un footing trois fois par semaine ou à la salle de sport, nous allons prendre un verre en terrasse avec nos vieux amis une fois par mois, etc. Nous nourrissons nos besoins de reconnaissance, nous vivons des expériences stimulantes.
Le confinement, apparenté pour certain à de l’enfermement, vient bouleverser nos habitudes. Il vient modifier notre manière d’être en relation à l’autre. On parle de distanciation sociale. Alors, comment dans ce cadre préserver la qualité de nos liens ? Comment vivre au mieux ce temps du confinement ?
Éric Berne distingue six temps, « six formes possibles de comportement social » : le retrait, le rituel, le passe-temps, l’activité, le jeu psychologique et l’intimité. Voici une brève description de chacun d’eux et quelques pistes pour continuer à les vivre pleinement.
Le retrait
C’est le moment où je suis dans mes pensées, le moment de non-communication. Je suis seule avec moi-même. C’est un moment important qui favorise la rêverie, l’intériorité, la réflexion. C’est un temps largement disponible pour les confinés solos. Une occasion de faire le point, d’établir un bilan, de regarder le chemin parcouru et de se projeter dans « l’après ». C’est le temps de la méditation, de l’introspection, de la connexion au temps présent, à l’ici et maintenant.
Mais le retrait n’est pas réservé aux célibataires, divorcés, jeunes ou vieux qui vivent seuls. Il est important pour les familles d’organiser ces temps « pour soi », quotidiennement. Un espace, un moment, où chacun cessera d’être en relation à l’autre. Pour mieux se retrouver ensuite.
Le rituel
« La forme la moins risquée d’action sociale » communique peu d’information et est totalement prévisible. C’est ce que l’on peut appeler la politesse, l’usage social. Nous nous disons bonjour… Alors, plus tout à fait comme avant, fini la bise ou la poignée de main. C’est peut-être l’occasion d’imaginer de nouvelles manières de se saluer, en prenant exemple sur d’autres cultures (le merveilleux sourire des fidjiens équivaut à un « bonjour »), en réalisant un très stylisé check avec les pieds ou en inventant de tous nouveaux codes.
C’est le temps du café avec les collègues pour les personnes en télétravail, mais chacun sur son canapé. Pour les confinés solos et sans activité professionnelle, ce temps peut-être le rendez-vous avec votre émission de radio ou télévision favorite, le matin au réveil, une sorte de présence rassurante, ou encore, les réseaux sociaux, un premier temps de relation au monde. Attention, chanter sur son balcon le matin en guise de bonjour peut être plus ou moins bien pris par vos voisins en fonction de l’heure à laquelle vous vous levez !
C’est aussi le temps de l’inclusion pour ceux qui ont assisté à mes stages ou les adeptes de Schutz, mais c’est un autre sujet que je ne vais pas développer ici.
Le passe-temps
C’est une manière un peu plus impliquante dans la relation. Le moment où nous commençons à parler de nous, sans trop en dire. Ce sont des échanges assez structurés au cours desquels, nous racontons notre week-end, le dernier film aimé, les péripéties du petit dernier, etc. Ce moment d’échange reste plus ou moins inchangé en période de confinement. Même seul, nous pouvons échanger par téléphone, Messenger, WhatsApp, Skype, etc. comme nous le faisions « avant ». Vive les nouvelles technologies !
L’activité
C’est le temps de communication avec autrui afin d’atteindre un but commun. Le travail essentiellement. Pour les télétravailleurs, c’est le temps de connexion avec ses collègues, c’est le moment où chacun va pouvoir être reconnu pour sa compétence, pour ce qu’il apporte au monde.
C’est aussi le temps de la classe pour les enfants. Il est important qu’il soit structuré, une heure de début, une heure de fin. De nombreux outils numériques existent (classes virtuelles, visio-conférences et même ARTE a mis à disposition tout son matériel pédagogique) et les enseignants sont au travail pour rendre se temps d’apprentissage nouveau le plus accessible possible. Le confinement est aussi l’opportunité de mettre en œuvre un principe pédagogique que je défends depuis longtemps : la classe inversée. Mais là aussi, c’est un autre sujet que je serai heureuse de développer à un autre moment.
Pour les personnes au chômage technique ou au chômage tout court, pour les personnes retraitées ou sans activité professionnelle, il est important d’inventer une autre manière de faire ce que vous faisiez avant ou d’inventer d’autres choses à faire. Par exemple, vous faisiez du yoga tous les soirs ? Cours en ligne et notamment ceux de Nadia Stragliati, ma merveilleuse prof de yoga. Vous n’avez jamais fait de yoga ? Cours de yoga en ligne. Vous jouiez au tarot tous les mercredis après-midi ? Salle de jeux virtuelle. Vous avez toujours rêvé d’apprendre l’italien ? Cours en ligne et soutien aux confinés de la péninsule.
Les jeux psychologiques
Ce sont « des ensembles de transactions doubles, répétitifs de nature, dotés d’un bénéfice psychologique bien défini ». Le joueur fait semblant de faire quelque chose alors qu’il fait autre chose en réalité. Complexe ? Oui. Alors pour être simple : fuyez les jeux psychologiques, ils sont à l’origine de 80% des conflits et en période de confinement, vraiment, ils sont à proscrire. Comment ? En étant le plus rationnel possible, en remettant « l’Adulte » aux commandes, en répondant à la question suivante : qu’est-ce que je peux faire pour être le plus efficace ici et maintenant ?
Lorsque vous sentez la moutarde vous monter au nez, ou tout autre émotion se manifester de manière soudaine, accorder vous un temps de retrait. Apprenez à méta-communiquer. Ne rompez pas la communication, mais au contraire, apprenez l’intimité…
L’intimité
C’est le Graal. C’est « une relation sincère, exempte de jeux, exempte de toute exploitation où chacun donne et reçoit sans arrière-pensée ». La période de confinement est aussi un moment privilégié pour apprendre à développer notre capacité d’intimité. Pour améliorer la qualité du lien à autrui, qu’il soit présent ou à distance. Ce temps, cette disponibilité à l’autre peut être l’occasion de construire une nouvelle manière de le regarder, de se montrer. Une nouvelle coopération, un nouveau contrat social. Et finalement, développer un regard inconditionnellement positif et prendre le risque de se montrer tel que nous sommes. Est-ce si dangereux ?
En préservant une certaine structure de notre temps, en inventant un nouvel emploi du temps, en construisant une nouvelle manière d’être en relation à l’autre, nous pourrons traverser, individuellement et collectivement, cette période de confinement. Nous pourrons même en faire une opportunité de croissance (je ne parle pas d’économie hein !) pour que « l’après » soit encore plus beau, plus respectueux des humains, de leurs différences, de la nature et de sa supériorité absolue, plus collaboratif, plus joyeux, plus grand. Pour finir, je vous laisse méditer sur ces bonnes paroles d’Éric Berne : « L’activité sexuelle offre une gamme d’exemples couvrant tout le comportement social » (les six formes possibles de comportement social). Alors, en cette période de confinement, faites l’amour, pas la guerre !
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